Depuis 3 heures du matin, le canon tonne avec fracas et sans arrêt. Il est 7 heures ; que de mitraille est tombée sur le village ! C’est réellement affolant. Heureusement que nous sommes abrités dans les cavernes. C’est bien triste de vivre ainsi. Mais à mesure que la journée arrive, plus triste elle devient, pour être enfin une grande et terrible journée de bataille, où nos hommes devant faire face à une formidable attaque ennemie sont décimés par un ouragan inconcevable de projectiles de toutes sortes.
Grâce à leurs obus asphyxiants, jetés en grande quantité sur la deuxième ligne, les boches ont attaqué en masse notre première ligne arrosée préalablement par un nombre considérable de minenwefer (1).
Nos hommes ont lutté héroïquement contre la sauvage poussée de l’ennemi sous une avalanche formidable d’acier. Des corps à corps se sont produits dans nos tranchées où l’on s’est tué à la baïonnette. Le bois, le village sont criblés d’obus. Quelle horrible journée ! Que de souffrances ! Que de tortures!.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90441141.r=charge+argonne.langFR
Je suis parti à 8 heures du soir de VIENNE, pour aller porter la soupe aux hommes de liaison. Dans le boyau (2), j’ai eu beaucoup de peine à lutter contre les gaz asphyxiants, ma gorge me piquait mes yeux me cuisaient horriblement, je toussais beaucoup. Mon masque m’a protégé efficacement, sans lui, je serai tombé inanimé. En pleine fusillade, je suis arrivé au poste du colonel. Je redescends en pleine attaque, les mitrailleuses crachent follement, les balles sifflent. Dans le boyau, 4 cadavres horriblement déchiquetés gisent là. C’est un spectacle navrant.
Je retourne à VIENNE sain et sauf. Le village a été bombardé avec rage de 3 heures du matin à 6 heures du soir. Jamais depuis DIEUZE (3) , on avait tant souffert.
Dans quel misérable secteur sommes nous tombés !…
Pertes du 20 juin = 123
Tués : 105
Disparus: 10
Blessures de guerre: 8
1 – Minenwerfer : Nom des pièces d’artillerie de tranchée allemande, et, par extension, désignation des projectiles qu’elles envoient.
2 – Boyau : voie de communication entre deux lignes de tranchées. C’est par les boyaux que « montent » et « descendent » les unités lors des relèves, non sans problèmes, dus à l’étroitesse du boyau qui peut empêcher les files d’hommes de se croiser, et aux ramifications multiples qui font s’égarer les unités.
3 – En référence au combat du 112 RI dans le secteur de Dieuze (57), les 19 et 20 août 1914.
LE SORT DES DISPARUS, UNE QUESTION DÉLICATE..
Un exemple parmi tant d’autres…
Ce jour-là le soldat Henri DAUMAS du 112e RI (Matricule 839 bis classe 1904/ Marseille) est déclaré : disparu présumé tué.

Comme chaque fois que nos unités reculent, le nombre des disparus est particulièrement élevé (485 pour l’ensemble de la 251e brigade).
Par définition, le soldat disparu est celui qui au soir, ou le lendemain des combats, en fait lorsque la situation se stabilise, est absent de son unité sans que l’on sache avec précision s’il a été tué, blessé ou tout simplement fait prisonnier.
Le 22 octobre 1915, une fiche de la Croix-Rouge (ci-dessous) répondant à un questionnaire de recherche donne un avis négatif.
A cette date on ignore toujours le sort d‘Henri Daumas.

Plus tard, on découvrira qu’il a été fait prisonnier. (à suivre…)
Il reviendra de captivité en 1919.